Les aveux du Premier ministre d’Arménie Hovhannes Katchaznouni

En automne 1914, la période ou la Turquie n’avait pas encore choisi son camp entre les pays en guerre, nous avions commencé à créer des unités volontaires arméniennes. Le parti Arménien Dachnak a non seulement créé ces troupes militaires, mais de plus les a utilisées d’une façon active dans les attaques contre les Turcs.

Nous étions tous tournés sans conditions vers la Russie. Sans aucune raison réelle nous croyions à la victoire, nous étions sûrs que le gouvernement du Tsar nous aurait accordé l’indépendance de l’Arménie en échange de notre fidélité, nos efforts et nos aides. En prenant nos désirs pour des réalités, en donnant de l’importance aux paroles des individus sans responsabilité et en étant dans notre hypnose, nous n’avons pas compris les réalités et nous avons commencé à rêver. On a exagéré la force du peuple arménien.

Pendant la période de l’été et l’automne 1915, les Arméniens de Turquie furent forcés d’émigrer. L’Arménie historique, nos coutumes héréditaires, les régions que la diplomatie européenne nous avait promises, avaient été abandonnées et les villes arméniennes sont restées sans Arméniens. Les Turcs savaient ce qu’ils faisaient et aujourd’hui ils n’ont rien à regretter, comme on l’a réalisé plus tard, cette tactique pour régler définitivement le problème arménien, était la plus efficace et la plus commode.

Il y avait une sorte de consolation, dans l’idée que les Russes nous avaient trahis. (Plus tard ce serait le tour des Français, des Américains, des Anglais, des Géorgiens et des Bolcheviques, en un mot de tout le monde). Comme si, être naïf et non prévoyant était de l’héroïsme.

Il y a une chose sûre et indiscutable, nous n’avons pas tout fait pour éviter la guerre. Nous aurions dû travailler ensemble pour trouver une solution commune avec les Turcs. Nous ne l’avons pas fait. Nous ne l’avons pas fait pour des raisons très simples et très claires, nous ne connaissions pas les forces turques et nous étions convaincus de notre victoire. Nous n’étions pas informés des forces turques stationnées à nos frontières et nous n’avions pris aucune mesure indispensable. Au contraire, occuper la ville d’Oltu par surprise, était une sorte de provocation. On pouvait dire que c’est nous qui voulions avoir la guerre. Les Turcs nous ont proposé d’arrêter les attaques et de discuter, mais nous avons refusé. Cela fut une très grande erreur. Le traité de Sèvres avait aveuglé tout le monde. Nous comprenons maintenant qu’à l’automne 1920 (malgré le traité de Sèvres) si nous nous étions entendus avec les Turcs, nous aurions pu gagner beaucoup. Mais à cette époque nous ne le comprenions pas. Non seulement nous n’avons rien fait pour éviter cette guerre, mais au contraire, nous avons inventé des raisons pour la faire. La guerre s’acheva par notre défaite absolue. Notre armée, qui était bien nourrie et bien équipée, a lâché les armes et elle s’est dispersée dans les villages.

Au printemps de 1919, la délégation de la République et la délégation nationale, ont soumis ensemble le mémorandum des demandes que nous avions présentés à la conférence de paix aux États Alliés. Selon ce mémorandum, il fallait définir les terres comme frontières de l’État Arménien. On souhaitait créer une Arménie de la Mer Noire à la Méditerranée, des montagnes de Karabağ aux déserts de l’Arabie. Cette demande impérialiste comment pouvait-elle être réalisée? Ceci était une situation incroyable, mais la demande était faite par les Arméniens de Paris et notre délégation a accepté cette proposition de tendance colonialiste. Les Arméniens de France ont expliqué que l’Amérique, n’accepterait pas de prendre sous son mandat une petite Arménie et elle préférerait une Arménie qui s’étendrait d’une mer à une autre. Pour pouvoir obtenir le mandat américain, notre délégation était obligée d’accepter cette proposition et elle l’a signée. Le mémorandum de Paris a surtout créé une émotion dans les esprits immatures des membres de la Diaspora, comme si pour posséder un État, il suffisait de dessiner les frontières sur un papier. Naturellement, les demandes sans buts et exagérées céderaient leur place à une déception amère.

Nous sommes une petite région soi-disant autonome et frontalière de l’Empire Russe située entre Aras et Sevan. Il n’y a pas d’État Arménien de Turquie, ce sujet a été enterré à Lausanne. Les Turcs ont fermé toutes les portes et on ne voit aucune possibilité de rouvrir.”

Hovhannes Katchaznouni (Premier Ministre d’Arménie) – Le Parti Dachnak N’a Plus Rien A Faire (Le rapport à la Conférence du Parti en 1923)